15juin2012/coup d'aile : Lausanne by night
LES FOLLES NUITS LAUSANNOISES
Lausanne, ou l’histoire d’un succès nocturne mal digéré
Les filles hurlent, les garçons bombent le torse et les coups fusent. Dimanche 3 juin, à 4 h 45, la place Bel-Air semble se transformer une nouvelle fois en champ de bataille après la fermeture des discothèques.
Mais contrairement aux grosses bagarres qui ont secoué la capitale vaudoise durant deux nuits de mai, la police est sur le pied de guerre et met un terme à cette montée de violence en une demi-heure. Encore quelques insultes envers des agents, des râles de douleur d’un fêtard qui a reçu du spray au poivre au visage, et chacun rentre chez soi. Durant la soirée, rien ne laissait présager qu’une bagarre allait éclater. Quels éléments ont fait vaciller le fragile équilibre de la fête? Décryptage des nuits lausannoises, en plusieurs chapitres.
Le Flon, une disco en plein air
«Si vous mettez une grosse boule à facettes au Flon, c’est une discothèque en plein air!» Pour Thierry Wegmüller, patron du D! Club et nouveau président de
l’Association «Pool Lausanne la Nuit», les développements urbanistiques qu’a connus le centre-ville sont «un élément clé» de l’évolution de ses nuits. «Il y a maintenant un vrai centre nocturne
qui n’existait pas il y a dix ans. Lausanne a pris de l’ampleur, avec ses transports publics et les aménagements du Flon, zone auparavant malfamée.» Et de préciser que ce quartier concentre
désormais une palette de lieux de divertissement. «Les gens ne vont pas forcément dans les clubs, mais se baladent, restent dans les rues.»
Igor Blaska, patron du MAD, abonde. «Les rues sont beaucoup plus conviviales qu’avant. On se sent bien en ville. Mais la nouveauté, c’est les 200 ou 300 dealers dans les rues. Auparavant, pour acheter de la drogue il fallait davantage se déplacer. On ne les voyait pas…» «Si, à Genève, on mettait dans un même périmètre le Java, le Moa, le Bypass et l’Usine, on verrait les mêmes phénomènes qu’à Lausanne», poursuit Thierry Wegmüller. Son collègue Olivier Freymond, patron du Loft, ajoute que la densité de l’offre dans une zone facilement accessible, en métro ou en voiture, contribue à son succès.
L’offre lausannoise amène-t-elle trop de noctambules? «Non, c’est positif! rétorque Thierry Wegmüller. La Suisse évolue et ne sera plus jamais la même. Idem pour Lausanne. Il ne faut pas freiner la tendance, mais s’adapter.» Igor Blaska se souvient de son arrivée à Lausanne, voilà presque 18 ans. «C’était davantage alternatif et le monde de la nuit n’était pas reconnu ni apprécié. Maintenant, ça s’est beaucoup démocratisé et professionnalisé.»
Le tourisme des noctambules
La capitale vaudoise, et ses 32 clubs, attire les fêtards venus de loin. A interroger les clubbers samedi dernier au Loft, pas de doute: Genevois, Veveysans,
Moudonnois, mais aussi noctambules de France voisine ont fait le déplacement. Certains Genevois évoquent une offre moins guindée et moins chère. Cette «transhumance» est confirmée par
l’Observatoire de la sécurité de Lausanne. «Nous sommes assez sûrs que près de 60% des noctambules viennent de l’extérieur de la ville», indique Morella Frutiger, qui dirige cette unité.
Une estimation que corroborent également les professionnels de la nuit à Lausanne. Si le tourisme nocturne fait la fierté de la capitale vaudoise, il attire également un public «peu désirable et parfois à la recherche de violence», estime l’Association Pool Lausanne la Nuit dans un courrier adressé à la Municipalité le 31 mai dernier. «Il s’agit souvent d’individus mobiles qui ne fréquentent pas les établissements publics et qui ne sont pas forcément alcoolisés.» Et d’ajouter que le Printemps arabe a amené son lot de désœuvrés. «Nos portiers doivent faire régulièrement face à des actes de violence de la part de marginaux, principalement d’origine maghrébine.» Pour les patrons de clubs, l’entrée dans leurs établissements est donc strictement contrôlée. «On refuse de plus en plus de personnes douteuses, par exemple des bandes de Lyonnais ou des dealers», précise Thierry Wegmüller.