La Fontaine, poète visionnaire?

Publié le par Pierre-Sauveur.B

Les animaux malades de la peste

En ces temps de pandémie du coronavirus, cette fable illustre la maxime "La raison du plus fort est toujours la meilleure" : c'est toujours le plus faible que l'on sacrifie quand on en a le pouvoir, c'est la loi des vainqueurs.

Pour donner raison au lion, symbole du pouvoir, le renard dit que ce n'est point pécher que manger des moutons. Mais, lorsqu'un âne, sans doute naïf, dit qu'il a mangé de l'herbe d'un pré sans en avoir le droit, les animaux décident de le sacrifier, se donnant ainsi bonne conscience en le mangeant. Les personnages, ancrés dans la réalité du XVII ème siècle, ont des attitudes qui restent universelles. Le dénouement tragique insister sur l’hypocrisie et le scandale d’un monde contrôlé par les puissants.

à chacun de lire, écouter, méditer et interpréter comme bon lui semblera...

La fable

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

L'écoute

Deux géants du théâtre :

Jean Davy 

Michel Bouquet

Aide à la réflexion

Un mal innommable à demi mot frappe les animaux de la forêt, une maladie connue pour décimer les populations d'êtres vivants, la peste s'est abattue sur le royaume du lion. En réaction à cette hécatombe le lion convoque la totalité de ces sujets en leur expliquant que pour vaincre la peste il faudra sacrifier un des sujets. Le roi de la forêt propose donc de sacrifier le sujet qui a le plus péché. Afin de montrer l'exemple, le lion raconte son tort le plus grave, il admet avoir manger à répétition des moutons et un berger qui ne l'avaient nullement offensé, se disant prêt à se sacrifier pour la communauté si il est jugé le plus coupable entre tous. Le renard aussi malin que lui même, s'engage dans la défense de son bon roi, plaidant que le lion n'a rien fait de mal et qu'il est bien bon de songer à se sacrifier ainsi. Le renard flatte l'ego des puissants de la forêt dont fait partis le lion en expliquant qu'en dévorant ces animaux le lion les avait honoré. De la même façon l'éponge est passée sur les animaux les plus forts, les plus violents, tels que les ours ou encore les tigres et bien d'autres encore. Vient le tour d'un petit âne candide qui de haut de sa sincérité conte sa plus mauvaise action qui soyons honnête face au meurtre des lions, des tigres et des ours n'est vraiment pas comparable. L'âne commence ainsi son récit, un jour, il a mangé l'intégralité de l'herbe d'un champs qui n'était pas le sien, "un loup quelque peu clerc" insista pour que le petit âne soit sacrifié afin de guérir la peste car son péché était innommable, manger l'herbe d'un autre ? Quelle barbarie ! Face au jugement populaire, le candide petit âne se vit sacrifier.

Conclusion

Sommes nous si loin de notre pandémie du XXI ème siècle? La Fontaine, témoin de son époque, était-il aussi un visionnaire?

 

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